Valensole : l’héritage provençal de saint Mayeul

Niché au cœur des Alpes-de-Haute-Provence, Valensole entretient un lien privilégié avec les moines clunisiens. Terre natale de l’illustre abbé Mayeul, le site est rattaché à Cluny dès le milieu du Xe siècle. À partir de 998, un monastère est élevé, donnant naissance à un prieuré, témoin durable de la présence clunisienne en Provence.

Rappel historique

La tradition place la naissance de Mayeul, quatrième abbé de Cluny, à Valensole aux alentours de 909 (1). Issu d’une noble et influente famille implantée en Provence, il est contraint de quitter sa terre natale dans les années 916-918 pour le Mâconnais en raison de luttes intestines de l’aristocratie locale et des incursions sarrasines à travers la région.

Église Saint-Blaise de Valensole

L’intégration de Valensole à Cluny s’opère progressivement. Elle débute en 954 avec l’accession de Mayeul à la tête de l’abbaye. Plus tard, entre 982 et 993, le comte de Provence Guillaume II transmet la moitié de ses biens à Valensole et rattache l’église Saint-Maxime à Cluny qui en deviendra l’héritière complète après sa mort.

Cette donation offre alors aux moines l’occasion de préparer l’édification d’un futur prieuré, finalement établi en 998 par l’abbé Odilon avec l’accord de l’évêque de Riez (2).

À cette occasion, un monastère est construit près de l’église Saint-Maxime, assurant l’installation pérenne de la communauté.

Vestiges d’un temps clunisien

Au XIIe siècle, une nouvelle église, placée sous le vocable de Saint-Denis est érigée avant d’être agrandie au cours du XIVe siècle pour devenir l’église Saint-Blaise. Au XVIIe siècle, une chapelle est élevée dans le bourg à la mémoire de saint Mayeul et un siècle plus tard l’église est augmentée des chapelles Notre-Dame-du-Rosaire et Saint-Joseph.

Chapelle Saint-Mayeul de Valensole

Du prieuré médiéval de Valensole, il ne reste aujourd’hui que peu de traces. Une découverte fortuite en 2016 a cependant révélé l’existence de peintures murales inédites situées derrière le maître-autel. Celles-ci, datables au plus tard du XVIe siècle, représentaient probablement plusieurs épisodes de la vie du Christ, dont celui de la Résurrection, ainsi qu’une scène de dédicace devant la Croix.

Les fresques de l'église Saint-Blaise

Mayeul et la reconquête de son héritage

Sitôt devenu abbé, Mayeul s’efforce de récupérer les possessions perdues par sa famille lors de la période troublée des années 916-918.

Après avoir concédé à Cluny les terres qu’il avait hérité de son père, il entreprend une politique de reconquête de la Provence en réussissant à réintégrer certaines possessions familiales au cercle d’influence du monastère par le biais de précaires (3).

Valensole, lithographie du XVIIe siècle

Mais la renommée du monastère et l’influence de son abbé attirent également de généreux donateurs qui permettent à Cluny de s’implanter durablement en Provence :

Odilon, gardien du patrimoine clunisien provençal

À la mort de l’abbé en 994, Odilon entreprend vers 1030 la rédaction d’une Vie de saint Mayeul dans laquelle il raconte comment son prédécesseur fut capturé, enchainé puis finalement libéré contre rançon par une troupe de Sarrasins lors de sa traversée des Alpes (4).

À la suite de cet événement, ces derniers furent chassés définitivement de la région par le comte de Provence Guillaume II qui lança une expédition vengeresse à leur encontre.

Ce récit s’inscrit dans une période troublée qui voit les possessions clunisiennes de Provence menacées par les luttes constantes entre seigneurs locaux. En présentant le comte Guillaume comme le libérateur de la Provence, l’abbé de Cluny forge la figure du seigneur laïc prêt à se battre pour défendre la Croix plutôt que pour son propre intérêt.

Selon les historiens, ce portrait annonce les prémices de l’esprit de Croisade à venir… (5).

Laura Attardo
Chargée de mission scientifique - Clunypedia
Fédération Européenne des Sites Clunisiens
Doctorante à l'Université Paul-Valéry de Montpellier
Les moines de Cluny et l’image : un discours ecclésiologique à travers les manuscrits enluminés clunisiens (Xe-XIIIe siècle)
clunypedia@sitesclunisiens.org

Notes

(1) Selon Syrus, biographe de l’abbé, Maïeul serait né en Avignon (Syrus, Vita Sancti Maioli, éd. IOGNA-PRAT D., p. 182-183). Au XVIIe siècle, une inscription révélée dans l’église Saint Martial d’Avignon situe sa naissance à Valensole, hypothèse plus généralement adoptée. Inscription transcrite dans : Chronicon cluniacense, éd. MARRIER-DUCHÊNE, in Bibliotheca Cluniacensis, Paris, 1614, col. 1635). Cf. MAGNANI É., Monastères et aristocratie en Provence…, p. 25, n. 4).
(2) Prieuré : « établissement de petite taille dépendant d’une abbaye où se trouve un petit groupe de moines sous l’autorité d’un prieur » (BERTRAND P., DUMÉZIL B. et alii., Pouvoirs, Église et société dans les royaumes de France, de Bourgogne et de Germanie aux Xe et XIe siècles, Rennes, 2008, p. 285).
(3) Récupération des biens familiaux par le biais de précaires qui sont des « contrats à titre viager où un bien est concédé par son propriétaire contre des charges modiques, et même parfois, nulles. Ce genre de contrat permet de récompenser des services, d'entretenir des fidélités [et à] trancher des conflits » (MAGNANI É., Monastères et aristocratie en Provence…, p. 27).
(4) Odilon, Vita sancti Maioli, PL 142, col. 959C-962B.
(5) Voir : IOGNA-PRAT D., « Saint Maïeul, Cluny et la Provence… » ; MAGNANI É., Monastères et aristocratie en Provence….

Illustrations

Fig. 1 : Église Saint-Blaise de Valensole © Creative Commons Attribution.
Fig. 2 : Chapelle Saint-Mayeul de Valensole © Brigitte Chabot
Fig. 3 : Les fresques de l'église Saint-Blaise
Fig. 4 : Valensole, lithographie du XVIIe siècle © Creative Commons Attribution.

Bibliographie indicative

Millénaire de la mort de Saint Mayeul, 4ème abbé de Cluny (994-1994), Actes du Congrès international Saint Mayeul et son temps (Valensole, mai 1994), Digne-les-Bains, 1997.
MAGNANI É., « Valensole : sur les terres de l’abbé Maïeul », in Dossiers d’Archéologie, 275 (2002), p. 128-129.
MAGNANI É., Monastères et aristocratie en Provence, milieu Xe-début XIIe siècle, Münster, 1999, notamment les pages 24 à 97.
IOGNA-PRAT D., « Saint Maïeul, Cluny et la Provence : expansion d’une abbaye à l’aube du Moyen Âge » in Les Alpes de Lumière, 115 (1994).